EELV étant dans la majorité gouvernementale, nous ne sommes pas audibles dans le battage médiatique de l'affaire Cahuzac, pourtant la lutte contre
la corruption et les fraudes fiscales sont un engagement de la campagne 2012 des écologistes, nous n'avons pas choisi Eva Joly comme candidate par hasard !!
Je publie cet article paru dans Médiapart de Michèle Rivasi, même s'il est un peu long il résume bien le fond de l'histoire,
Et je me demande comme d'autres sans doute comment des personnalités comme Jérôme Cahuzac arrivent à de si hautes responsabilités au PS ?
Médecin dans le public, conseiller au ministère de la Santé,
dirigeant d'une société de conseil pour le secteur pharmaceutique, chirurgien esthétique, élu local, ministre du Budget… La députée européenne Michèle
Rivasi (EELV) explique en quoi le parcours de Jérôme Cahuzac illustre le conflit d'intérêts entre deux mondes « dont les
objectifs diffèrent : l'un le profit immédiat, l'autre l'intérêt général ».
La Ve République agonise, et l'affaire Cahuzac pourrait porter un coup aussi fatal que
nécessaire à nos institutions déboussolées par l'affairisme d'une minorité.
Pour ne pas répéter ce que vous avez déjà pu entendre maintes
fois, je ne traiterai pas ici des ressorts fiscaux de cette affaire puisque seule la justice est à même de s'intéresser aux faits reprochés à M. Cahuzac.
Non, en tant que femme politique intéressée par les conflits
d'intérêts –et notamment ceux liés à l'industrie pharmaceutique– il me paraît plus important de s'intéresser aux doutes qui planent autour de l'origine des fonds précieusement gardés en Suisse.
Mais surtout de s'intéresser aux certitudes concernant le parcours de M. Cahuzac, un parcours politique caractérisé par une confusion des genres néfaste pour la vitalité d'une démocratie
exemplaire.
Public/Privé -
Institutions/Entreprises : la confusion des genres, un fléau pour la santé de nos institutions
Dès mes premiers pas en politique, après la création en 1986
de la Criirad (Commission de recherche et d'information indépendante sur la radioactivité), j'ai pu constater que le monde politique souffrait d'une schizophrénie que les meilleurs laboratoires
n'ont su traiter.
Jean Syrota, qui fut directeur de la Cogema (ex-Areva) entre
1988 et 1999, fut ma première surprise et non des moindres. Pendant l'exercice de ses fonctions à la Cogema, il fut aussi vice-président du Conseil général des mines (CGM, de 1993 à 1997),
l'organisation qui chapeautait les Drire (Direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement). En bref, l'organisation en charge de la radioprotection et de la sûreté
nucléaire –et donc de l'inspection des centrales nucléaires françaises– était dirigée par le PDG de l'industrie nucléaire... qui décidait de la nomination des directeurs d'agences régionales.
Incroyable conflit d'intérêts... et pourtant l'Etat français a laissé faire, jusqu'à ce que la pression des associations antinucléaires finisse par payer et que Syrota quitte la vice-présidence
du CGM.
Ce cas est spécifique puisque le cumul des deux fonctions
était simultané, mais aujourd'hui le mélange des genres continue de faire des ravages et le pantouflage dans le privé devient une norme inquiétante. Pire, nous n'en sommes plus au simple passage
du public au privé –pantouflage grassement rémunéré pour l'expertise et le réseau que l'ex-fonctionnaire apportera– mais aux allers-retours entre le privé et le public. Appelé revolving doors (portes tournantes) au niveau européen, ce système nuit terriblement à la confiance que nous pouvons avoir dans nos institutions, gangrénées
par un lobbying s'insinuant incessamment.
Laboratoires
pharmaceutiques : ce que l'affaire Mediator m'a appris
C'est bien la complaisance de nos institutions qui est à
l'origine du malaise démocratique. Et j'ai encore pu le constater à de nombreuses reprises lors de mon mandat de députée européenne, quand j'ai fait la guerre aux pions que l'industrie
pharmaceutique (dont Servier) avait placés dans les agences sanitaires, qu'elles soient françaises ou européennes.
En France, est-il utile de rappeler que la Commission de la
transparence, dépendante de la Haute autorité de santé, rendait en 1999 un avis défavorable au remboursement pour « absence d'intérêt thérapeutique » du Mediator ?! Oui, car l'avis
n'a pas été suivi par le ministère de la Santé pour d'obscures raisons, aujourd'hui évidentes. En 2003, le médicament est retiré du marché espagnol, en 2005 il figure dans la liste des produits
retirés de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). En France, il faudra attendre qu'Irène Frachon publie son livre pour que le scandale éclate et que le médicament soit enfin retiré. Une
situation liée aux nombreuses entrées de l'industrie pharmaceutique en France, mais aussi en Europe, que ce soit le fait d'une camaraderie ancienne ou de l'infiltration des comités
d'experts.
Suite à mon interpellation de l'Office européen anti-fraude
(OLAF), nous avons su faire du ménage dans le Comité d’évaluation des médicaments à usage humain (CHMP) de l’Agence européenne du médicament où siégeait Eric Abadie. Cet ancien directeur des
affaires médicales du syndicat des industries pharmaceutiques a été à l'origine du blocage du retrait du Mediator en France. Comment s'en étonner ? Et que penser des experts siégeant dans
les multiples agences sanitaires qui espèrent se reconvertir dans le privé par la suite ? Quelle indépendance supposée ont-ils dès lors qu'ils ne souhaitent pas se fermer des barrières dans
le monde de l'entreprise ? Vont-ils interdire l'autorisation de mise sur le marché (AMM) d'un médicament proposé par un laboratoire qui pourrait grassement les payer à l'avenir ?! Ces
questions gênent, il faut pourtant trouver des garde-fous au mélange des genres, établir une barrière s'affranchissant de la porosité des intérêts.
Le problème ne s'arrête pas là : les laboratoires
pharmaceutiques pratiquent le chantage à l'emploi (éventuelles délocalisation/fermeture d'usine) dès lors que le monde politique contraint leurs marges réalisées grâce à la fixation du prix des
médicaments et leur remboursement par la Sécurité sociale.
Le plus inquiétant dans tout cela ? Les conflits
d'intérêts et pressions effectuées dans le domaine médical ont un impact direct sur la santé des gens, mais aussi sur le déficit de la Sécurité sociale, pourtant garante du modèle social
français.
Le parcours professionnel de
Jérôme Cahuzac : une confusion permanente
Médecin de formation, Jérôme Cahuzac fait partie des acteurs
de ce système vicié. Après avoir exercé comme médecin dans le public, il rejoint le ministère de la Santé en 1988 comme conseiller technique. Il jouait alors l'interface entre son ministère et la
Direction de la pharmacie et du médicament, qui était notamment en charge de l'attribution du prix des médicaments... ce qui lui a permis d'établir des liens étroits avec l'industrie
pharmaceutique mais aussi d'acquérir l'expertise nécessaire à la mise sur le marché des médicaments en France.
Selon des informations du journal Sud-Ouest, les laboratoires Pierre Fabre auraient bénéficié de la sympathie du ministère de la Santé en 1989 : son médicament Maxepa bénéficiait d'un prix
de vente trois fois supérieur à celui de ses concurrents. Le genre de cadeaux qu'un laboratoire pharmaceutique n'oublie pas. D'ailleurs, à l'époque, les entreprises pouvaient encore financer les
campagnes électorales et les labos ne s'embarrassaient pas à choisir un poulain : ils arrosaient de leur argent les candidats de droite comme les candidats de gauche et gardaient ainsi
l'assurance d'avoir leurs entrées aux portes du pouvoir.
Pour M. Cahuzac, l'acquisition des connaissances nécessaires
aux autorisations de mise sur le marché (AMM), couplée au développement d'un réseau conséquent au sein du monde pharmaceutique... c'était une double opportunité rêvée pour se reconvertir dans le
privé ! L'ancien conseiller ne tarde pas à en profiter en créant Cahuzac Conseil (en 1993), une société de conseil exclusivement dédiée au secteur pharmaceutique, dont le chiffre d'affaires
annuel avoisinait ou dépassait le million de francs. Facile de trouver des clients, encore plus facile de les satisfaire grâce à ses connaissances du fonctionnement des AMM, ou de fixation des
prix des médicaments.
En plus des revenus liés à sa clinique, il fit rapidement
fortune et la chronologie des évènements fait penser qu'il aurait pu placer cet argent sur son compte en Suisse. Cet enrichissement ne l'empêcha pas de vouloir briguer un mandat électif, la soif
de l'argent n'étanchant pas automatiquement celle de pouvoir.
Et c'est là que le bât blesse puisqu'il bénéficia encore par
la suite de relations douteuses avec l'industrie pharmaceutique. Quand il devint maire de Villeneuve-sur-Lot, les laboratoires Fabre et Upsa financèrent tout naturellement les associations
sportives du coin. Rien d'illégal, et c'est bien là le problème : la collusion est institutionnalisée. Et ce n'est que la partie émergée de l'iceberg... l'enquête judiciaire pourrait révéler
des surprises.
Quelles solutions pour limiter
l'influence du monde économique sur le monde politique ?
Tant que l'on ne réglementera pas de manière contraignante la
carrière de ces professionnels de la confusion des genres, l'on ne pourra améliorer le fonctionnement de nos institutions et on continuera d'avoir des Cahuzac bis à des postes
stratégiques.
Je suis personnellement déçue par le peu d'engagements pris
par François Hollande suite au Conseil des ministres. La publication et le contrôle sur les patrimoines des ministres et des parlementaires ne suffisent pas, même si c'est nécessaire. Ce qui
compte n'est pas d'où l'on vient et ce que l'on possède déjà, mais où l'on souhaite aller et l'argent que l'on compte amasser.
Il faudrait idéalement imposer des règles pour la période de
transition entre le privé et le public (et inversement), en empêchant ces salariés de bénéficier d'une connaissance des dossiers qui frise la violation du secret professionnel. Cette période
pourrait être de deux ans pour éviter de perturber et d'influencer un processus législatif et/ou décisionnel en cours.
Il faudrait aussi étendre les contrôles des conflits
d'intérêts à l'ensemble des cabinets ministériels, et non aux seuls ministres, mais aussi aux personnalités exerçant des postes décisionnaires au sein des multiples agences de
l'Etat.
Pour y parvenir, il est évident qu'il faudra mettre des
moyens financiers conséquents afin d'embaucher le personnel compétent et nécessaire au contrôle des déclarations d'intérêts. C'est un enjeu politique impératif pour barrer la montée des extrêmes
et leur réducteur « tous pourris ».
Enfin, la fin du cumul des mandats –qui était un des
engagements de François Hollande– doit être une priorité politique du gouvernement. C'est en limitant le nombre de mandats dans le temps que l'on empêchera les collusions de se faire trop fortes.
C'est en limitant le cumul des mandats que l'on rendra plus transparente la vie politique. Ce sont les ingrédients indispensables au renforcement de la confiance entre l'opinion et ses
dirigeants.
Alors que la lutte contre la fraude fiscale est un combat
récent et nécessaire pour rétablir la justice économique, la lutte contre les conflits d'intérêts est le dernier rempart protégeant la confiance dans notre démocratie.
Au-delà de la fraude fiscale, le cas Cahuzac devrait nous
faire réfléchir sur les limites que l'on doit imposer aux collusions entre deux mondes dont les objectifs diffèrent : l'un le profit immédiat, l'autre l'intérêt général. Nul doute que cette
affaire de fraude fiscale n'aurait jamais eu lieu sans un enrichissement défiant la morale républicaine.
Michèle
Rivasi, députée européenne Europe
Ecologie-Les Verts